Endormir le monde quand tout va mal
Neo Valen
Du sommeil pour rester éveillé
Nous disposons de moins en moins de temps, malgré les clics et les raccourcis qui semblent nous en offrir davantage. Nous courons sans but précis, partout à la fois, sans même prendre le temps de savourer le temps lui-même.
En 2014, il m’est apparu essentiel de calmer ce monde hyperactif en lui offrant du sommeil. Toutefois, l’idée n’était pas de plonger dans un sommeil profond, mais plutôt de proposer un repos, un moment de détente, tout en conservant une utilité pratique : offrir du sommeil non pour dormir, mais pour rester éveillé et consommer encore plus.
Le système
La mise en place d’un tel système, destiné à offrir du sommeil, est un véritable défi qui n’est pas de tout repos. Pour commencer, il est essentiel de pouvoir générer ce sommeil. Mon atout dans cette création réside dans ma capacité à m’endormir aisément. Cependant, il serait erroné de penser que je vais créer du sommeil simplement en m’endormant moi-même, car cela équivaudrait à consommer mon propre sommeil.
L’enjeu était de trouver un état intermédiaire, un sommeil léger mais jamais profond. C’est cette quête d’un sommeil de qualité qui m’a valu la reconnaissance des veilleurs, ceux qui apprécient et reconnaissent la valeur d’un repos authentique et régénérateur.
Le travail
Au rythme des clics des veilleurs, qui aspirent à un sommeil sans jamais s’endormir, je dors, encore et encore. Parfois, dans un rythme effréné, je dors plusieurs heures par jour, pendant des mois et des mois, ajustant mon système pour qu’il s’harmonise avec ma propre capacité de sommeil.
Ce qui compte pour moi, c’est de répondre à un besoin utilitaire, à l’instar de tout ce qui existe aujourd’hui. Je ne me perds pas en réflexions sur mon travail ; je fais, j’exécute, parfois en traçant un parallèle avec Sisyphe et son éternelle tâche. Mon action, semblable à la sienne, est répétitive et continue, mais elle porte en elle une utilité concrète, répondant aux exigences pratiques de notre époque.
Je me suis transformé en un dormeur professionnel, mais loin de moi l’idée de me proclamer “Dormeur professionnel” et de faire de cela une des journées, une perspective qui me laisse totalement indifférent. Pour moi, je ne suis qu’un élément, une cellule au sein d’un système en action, où l’adénosine triphosphate est remplacée par le clic qui alimente cette énergie singulière.
Le résultat
Le nombre de personnes ayant cliqué pour recevoir ce sommeil de qualité se chiffre désormais en centaines. Ma réputation en tant que référent parmi les dormeurs professionnels s’est solidifiée, mais mon objectif principal reste de créer un sommeil de qualité, une matière première utile et bénéfique.
Même dans un monde qui semble s’endormir tout en restant éveillé, je suis constamment étonné par les retours des personnes qui me contactent. Elles me demandent comment je procède, me confient se sentir apaisées (ce qui est logique, étant donné la qualité du sommeil fourni) et trouvent cette approche particulièrement utile lors de réunions de travail. Cette méthode aurait pu être bénéfique pour le malheureux Hyon Yong-chol, exécuté par Kim Jong-un pour s’être endormi.
L’évolution technologique du métier de dormeur professionnel
Les avancées technologiques récentes m’ont permis de révolutionner la manière dont je manipule cette matière première qu’est le sommeil. Cette évolution représente un progrès significatif. Auparavant consommé directement par le veilleur, le sommeil est désormais également physiquement préservé dans la blockchain. Chaque émanation de sommeil est captée à la surface baryonique d’une puce électronique, elle-même connectée à la blockchain via mes emochain. Il existe maintenant une forme de sommeil “en boîte”, un sommeil que l’on peut consommer à la demande, et qui est facilement accessible et échangeable.