Les émoticônes, ces petites icônes expressives représentant des visages, des comportements ou des lieux, jouent un rôle crucial dans l’enrichissement émotionnel de nos communications numériques. Inspiré par leur simplicité et leur capacité à transmettre des émotions, j’ai eu l’idée de les intégrer dans un système de communication destiné à une jeune fille américaine handicapée, capable uniquement de bouger son pouce.
Ce défi m’a conduit à participer au “Projet Malia”, une initiative visant à développer des solutions de communication innovantes. Ma proposition était d’utiliser un téléphone pour former des mots à partir d’émojis ou d’émoticônes. Cette idée n’a pas seulement été acceptée, mais elle a également remporté le premier Maker Prize aux États-Unis. Le système a permis à cette jeune fille de s’exprimer de manière indépendante, lui offrant un moyen de communication enrichi, malgré son handicap. Ce fut une avancée significative, non seulement dans le domaine de la technologie adaptative, mais aussi dans l’humanisation de notre interaction avec le monde numérique.
L’idée que les émoticônes puissent devenir un moyen d’expression universel m’a profondément séduit. Pour explorer cette possibilité, j’ai décidé de me lancer dans un projet littéraire audacieux : écrire un roman entièrement en émoticônes. Cette approche visait à tester les limites de la communication visuelle et à interroger la capacité des émoticônes à transmettre des histoires complexes, des émotions nuancées et des idées profondes, au-delà des barrières linguistiques traditionnelles.
Ce roman en émoticônes était une expérience de la richesse narrative que ces symboles simples peuvent offrir. L’objectif était de déterminer si, en nous libérant des mots, nous pouvions encore raconter une histoire captivante et compréhensible pour un large public diversifié, réunissant des personnes de différentes cultures et langues autour d’une forme de communication visuelle universelle.
Le roman en émoticônes
La création d’un roman entièrement composé d’émoticônes a été une étape significative dans mon parcours artistique, façonnant progressivement une approche que je n’avais pas initialement envisagée : celle de la simplification, de la quête d’économie par la réduction de l’effort. En effet, utiliser une émoticône simplifie le processus de communication, condensant en un seul symbole une gamme d’émotions et de significations qui auraient autrement nécessité de nombreux mots.
Cependant, au-delà de cette simplification, j’ai perçu dans la création de ce roman en émoticônes une résonance avec la superposition des états quantiques. Chaque émoticône, semblable à une particule quantique, porte en elle plusieurs interprétations possibles, toutes coexistant jusqu’à ce qu’une lecture spécifique les réduise à une signification particulière. Cette multiplicité d’interprétations, bien que limitée par le cadre de l’image elle-même, ouvre un vaste champ de possibilités narratives et symboliques. C’est cette richesse sous-jacente, cette capacité des émoticônes à encapsuler diverses couches de sens dans un seul symbole, qui a fait de l’écriture de ce roman non seulement un défi artistique, mais aussi une exploration profonde de la communication humaine et de ses nuances.
Travail
Écrire ce roman en émoticônes s’est avéré une tâche ardue, en particulier en raison des défis techniques de l’époque. En 2005, gérer la mémoire pour stocker chaque émoticône, chacune étant une image, présentait des difficultés significatives. Cette contrainte a conduit à de nombreux échecs et tentatives répétées, rendant le processus d’écriture à la fois complexe et fastidieux.
Ma principale source d’émojis provenait du site web [http://smilies-emoticons.de/] où la plupart des émoticônes étaient disponibles sous forme de GIFs animés. Une partie importante de mon travail a donc consisté à “fixer” ces émoticônes animées, c’est-à-dire à les transformer en images statiques pour les intégrer de manière cohérente dans le manuscrit. Ce processus, à la fois technique et créatif, nécessitait une attention minutieuse et une grande patience, chaque émoticône étant soigneusement sélectionnée et adaptée pour correspondre au contexte narratif du roman.
Ma palette d’émoticônes en 2005
Le résultat
Ce travail, au-delà d’une simple expérience artistique, s’est transformé en un jeu captivant lorsqu’il s’agissait de le lire à des enfants de diverses cultures et nationalités. Le roman racontait l’histoire d’un employé, unique survivant d’un crash d’avion. Bien que l’histoire globale restait la même, les variations de compréhension et d’interprétation étaient fascinantes à observer.
Bien que le livre se soit parfois avéré difficile à déchiffrer pour les jeunes lecteurs, l’intérêt résidait dans la démonstration de cette superposition d’états. Chaque enfant, en fonction de son contexte culturel et de ses expériences personnelles, apportait une interprétation unique aux émoticônes, illustrant ainsi la richesse et la diversité des perceptions humaines. Cette expérience a été pour moi un moyen d’explorer et de montrer comment la même série d’images simples pouvait générer une multitude d’histoires et d’émotions, reflétant la complexité et la beauté de la communication humaine.
En 2017, j’ai entrepris la réédition du “Grand Livre Universel”, intégrant de nouvelles émoticônes pour enrichir et approfondir l’histoire. Cette nouvelle édition n’était pas seulement une mise à jour, mais une réinvention de l’œuvre originale, marquant une évolution dans mon parcours artistique.
En introduisant de nouvelles émoticônes, j’ai cherché à offrir une narration plus riche et plus nuancée, permettant aux lecteurs de s’immerger encore plus profondément dans l’histoire.