Le quart d’heure de Gloire passe à seize minutes
Arsen ECA
Andy Warhol et le quart d’heure de gloire
Bien avant l’avènement des réseaux sociaux, Andy Warhol, avec une clairvoyance presque prophétique, déclarait : « À l’avenir, chacun aura droit à 15 minutes de célébrité », lançant ainsi une critique acerbe de la société de consommation. À cette époque, notre appétit pour la consommation n’avait pas encore atteint les sommets vertigineux d’aujourd’hui. Tout s’intensifie avec le temps, y compris le temps lui-même.
Si tout s’accroît avec le temps, il semblait essentiel d’étendre ce fameux quart d’heure de gloire, le portant à seize minutes. Cette augmentation symbolique n’est pas anodine ; elle reflète notre propension croissante à étirer, à amplifier chaque fragment de notre existence, dans une quête incessante de reconnaissance et de visibilité.
La quart d’heure de gloire plus une minute
Le paradoxe inhérent à une grande partie du monde artistique contemporain se manifeste dans leur propension à émettre des propositions ou à établir des diagnostics qui ne sont, en vérité, que le reflet d’une société excessivement prévisible et unidimensionnelle.
Il est terrifiant de constater que les artistes sont souvent perçus comme les antennes de la société, captant, interprétant et retranscrivant ce qu’ils perçoivent, alors qu’ils devraient, de manière impérative, offrir des visions alternatives au monde existant et fournir les moyens de concrétiser ces visions. Se contenter de peindre le présent, c’est déjà appartenir au passé.
Nous sommes en quête d’une déviance perpétuelle, un phénomène que certains philosophes nomment “clinamen”. Loin d’être une simple anomalie, cette déviance incarne l’unique chemin vers le progrès de l’humanité, la pierre angulaire de l’évolution. Dans le contexte actuel, ce clinamen est étouffé, écrasé sous le joug des algorithmes et des artistes qui, souvent inconsciemment, amplifient une normalité étouffante. Il ne suffit pas de proclamer des idées ; le véritable enjeu réside dans la capacité à les matérialiser, à les traduire en actes et en œuvres qui transgressent le banal.
Dans une analyse lucide de notre époque, si l’on devait réévaluer le fameux “quart d’heure de gloire” de Warhol à l’aune de notre société actuelle, marquée par une accélération et une volatilité extrêmes, on pourrait avancer que ce temps de gloire est désormais réduit de moitié. En effet, il semblerait plus juste de dire que chacun a droit à 7,5 minutes de célébrité, un chiffre qui reflète la rapidité fulgurante avec laquelle les étoiles montent et s’éteignent dans notre firmament culturel.
Cependant, dans l’esprit du clinamen, cette tendance à la réduction ne doit pas être acceptée passivement. Au contraire, l’alternative, la déviance créative, consisterait à aller à contre-courant de cette dynamique. Il s’agirait d’étendre ce quart d’heure de gloire, de le porter à seize minutes. Cette extension n’est pas une simple rébellion contre la norme ; elle représente une alternative concrète, un refus de se conformer au miroir déformant de la société. En augmentant symboliquement cette durée, on affirme la possibilité d’une résistance, d’une réappropriation du temps et de la valeur que nous accordons à la célébrité et à la reconnaissance.
La mise en oeuvre poétique
Il apparaît clairement que dans le monde des arts, la facilité d’accès à la célébrité, ardemment recherchée par de nombreux artistes, se fait souvent au détriment de l’essence même de leur travail et de la poésie qui devrait l’animer. Cette quête de visibilité, critiquée dans la philosophie d’Andy Warhol, se résume en une formule simple : être vu pour exister, être vu pour convaincre, être vu pour vendre. C’est une revendication que l’on retrouve chez les artistes de rue, qui laissent leurs empreintes sous diverses formes. J’ai moi-même participé à cette démarche en inscrivant “Regarde le ciel”, écho rimbaldien à son “Donc regardez les ciel”, où la quantité et la visibilité priment sur tout. Être vu, voilà le credo.
Ainsi, en adoptant une approche inspirée du Street Art, je pourrais étendre ce fameux quart d’heure de gloire à seize minutes. Cette extension se matérialiserait par l’acte de coller des autocollants sur les murs de villes, pendant seize précieuses minutes, au nom de quiconque désire revendiquer cette action dans le but de s’octroyer une célébrité éphémère, en y apposant sa signature. C’est une démarche qui, tout en s’inscrivant dans la tradition du Street Art, offre une réinterprétation contemporaine de la quête de reconnaissance, en jouant avec le temps et l’identité.
La récompense
Comment donc accéder à la célébrité ? Par un simple clic, pourrait-on croire. Mais la réalité est plus nuancée, car seuls ceux qui auront la persévérance de lire ce texte jusqu’à son terme découvriront le lien vers ce fameux clic. C’est à ce moment précis que se révèle l’étendue du désastre actuel : cette paresse ambiante, cette société de l’Insignifiance, du Rien. Aujourd’hui, je suis conscient que ce texte, dépourvu d’intérêt apparent, restera largement ignoré. D’une part, il n’éveille l’intérêt de personne, la poésie ayant déserté nos cœurs, et d’autre part, nous avons perdu l’habitude de la lecture, préférant nous tourner vers des vidéos et des clics faciles. Alors clic et regarde le ciel.