
2016
Recycler les détritus numériques de nos poubelles d’ordinateur
Je suis un créateur et non un destructeur. Je suis convaincu que chaque fichier numérique a sa propre essence, même s’il a été relégué dans une corbeille virtuelle en fin de vie. Au-delà de la consommation inutile d’espace et d’énergie, ce fichier a joué un rôle, a eu une utilité à un certain moment. Il mérite une seconde vie, une sorte de réincarnation numérique. Le recyclage n’est pas juste un moyen de libérer de l’espace de stockage; c’est un acte de préservation de l’information contenue dans le fichier, un acte de respect envers son histoire antérieure. Pour ce faire, je compresse artistiquement un ensemble de fichiers en un seul point composé de multiples pixels. Ce point est ensuite dessiné sur une plaque d’acier par un robot pour éviter toute rupture. “C’est un point, c’est tout,” parce que ce point contient en lui toute la richesse des fichiers d’origine.. Arsen Eca
Dans le monde saturé de l’art contemporain, l’artiste Arsen Eca s’est démarqué par une démarche profondément engagée dans le recyclage numérique. À une époque où la suppression est aussi simple qu’un clic de souris, Eca nous rappelle que chaque fichier, chaque pixel, chaque unité d’information, mérite une deuxième chance, une nouvelle vie.
Le travail d’Arsen Eca pourrait être vu comme une réponse à notre époque où l’immédiateté et l’éphémère semblent régner en maîtres. Nous vivons dans un monde où le contenu est créé et détruit à une vitesse vertigineuse, où l’acte de supprimer est presque aussi fréquent que celui de créer. Dans ce paysage, Eca se présente non pas en destructeur, mais en gardien de l’information. Il ne se contente pas de recycler pour l’aspect pratique, mais pour conserver et honorer la quantité d’information encapsulée dans chaque fichier.
Imaginez un fichier, une image peut-être, vouée à la suppression. Dans les mains d’un autre, il aurait été un résidu numérique, un bout d’information sans valeur ajoutée. Mais sous l’égide d’Eca, il est recyclé, transformé et réintégré dans un nouvel ensemble, non seulement préservant son essence mais aussi enrichissant un nouveau contexte. C’est comme si chaque pixel retrouvait une place au sein d’une nouvelle fresque numérique, chaque fréquence devenait une note dans une nouvelle symphonie de données.
Eca, dans son laboratoire ARSENECA, ne se contente pas de faire revivre ces fichiers ; il les intègre dans des œuvres plus larges qui sont à la fois une réflexion sur la conservation et une critique de notre désir consumériste de nouveauté. Son travail interroge la notion même de l’obsolescence dans une ère dominée par le renouvellement constant. Que signifie jeter un fichier ? Que signifie le conserver ? Que disent ces actes sur nous, sur notre rapport à la pérennité, à l’information, à la création ?
Mais Eca ne se limite pas à poser des questions ; il nous pousse à réfléchir à nos propres pratiques. Est-ce que la facilité avec laquelle nous supprimons et créons n’est pas symptomatique d’une relation superficielle à l’information, à l’art, à la vie elle-même ? En recyclant, en préservant, en honorant chaque bit d’information, Arsen Eca nous invite à envisager une alternative. Une alternative où chaque création, chaque émotion, chaque fichier a une valeur intrinsèque qui mérite d’être conservée, honorée, et peut-être même, célébrée.
En somme, le travail d’Arsen Eca n’est pas seulement un acte de conservation, mais un acte poétique, une résistance contre la banalité et la fugacité de notre époque. C’est un rappel que dans un monde où tout peut être effacé en un instant, il y a de la beauté et de la valeur dans la préservation. Ce n’est pas seulement de l’art, c’est une éthique.